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ENFANCE, CULTURE, MUSIQUE & PEDAGOGIE

Expériences pédagogiques


Nos archives

Numéro 1 : Poésie, musique et arts plastiques / 06-2023

Numéro 2 : Le chant prénatal / 07-2023

Numéro 3 : Les techniques corporelles pour les musiciens / 08-2023

Numéro 4 : Focus sur le Créa,
Centre de création vocale et scénique d’Aulnay-sous-bois / 09-2023

Numéro 5 : Musique, arts et handicap

Numéro 6 : Focus autour de l’édition jeunesse / 01-2024

Numéro 7 : Les femmes et la musique

Numéro 8 : Le conte dans toute sa diversité / 05-2024


Pierre Lamy (Polo)

Pierre Lamy (Polo) du groupe Minibus, a répondu à nos questions autour de la création de chansons, mais aussi du rôle du musicien pour contribuer à l’action culturelle, pour aller là où les enfants ont un besoin urgent, ce qui les a amenés à Mayotte, par exemple.

Vous êtes chanteur, auteur-compositeur, avec une longue carrière de musicien.
En 2014 vous avez fondé, avec Gaya et François Combarieu, le groupe Minibus, destiné au jeune public, avec lequel vous avez créé des spectacles et enregistré des albums dont le dernier, « Les minimots » , qui vient de sortir,  (est chroniqué à la rubrique CD).
Le groupe Minibus a également mis en place des ateliers d'écriture en milieu scolaire, hospitalier et associatif, Les Minimots.
Parlez-nous de la genèse de ces ateliers.

J’ai commencé à faire de la musique, en faisant un groupe de rock, Les Satellites, à la fin des années 80, avant de poursuivre une carrière d’auteur-compositeur durant laquelle j’ai également interprété mes chansons sous le nom de Polo.
Il y a une vingtaine d’années, les hasards de la vie m’ont fait accepter un projet d’atelier d’écriture avec des enfants en Haute Saône.
Je n’en avais jamais fait. Ça a été pour moi une révélation.
J’ai adoré réfléchir sur la transmission des processus d’écriture auprès des enfants, inventer des jeux littéraires, m’immerger au pays des mots.
Cette période a correspondu à une baisse de mes activités d’auteur dû au bouleversement économique de l’industrie du disque à l’arrivée d’Internet.
J’ai donc développé mon réseau d’ateliers d’écriture de chansons et c’est devenu une activité importante pour moi.

Et puis, toujours au hasard des circonstances, j’ai rencontré François et Gaya, et nous avons fondé le groupe Minibus. François et Gaya avaient eux aussi le désir de créer une formation dédiée au jeune public. Nous avions tous les trois de jeunes enfants, et nous étions très inspirés par eux. Gaya était auparavant psychologue à Médecins du Monde et artiste musicienne, et François musicien poly-instrumentiste et arrangeur de grand talent. Nous avons réalisé que nous avions chacun beaucoup de points communs et beaucoup de qualités qui se complétaient et que c’était idéal pour fonder un groupe. Très vite, nous avons partagé nos activités musicales, en proposant des disques et des concerts-spectacle, mais aussi de l’action culturelle. Notre nouvel album les Minimots est un peu l’aboutissement d’un rêve, puisqu’il réalise la synthèse entre la création artistique et l’action culturelle.

Dans ces ateliers vous proposez aux enfants d’écrire des textes des chansons. Comment procédez-vous ?

Les enfants n’écrivent pas des chansons de leur propre chef. Nous considérons notre travail plutôt comme une collaboration avec eux. C’est un peu comme si nous avions accès à une matière brute qu’il nous appartient de modeler. Pour ce faire, nous identifions tout d’abord un thème qui peut être proposé par l’enseignant de la classe ou par les enfants eux-mêmes, suite à une discussion. Puis nous élaborons un processus, un protocole d’écriture, que j’appelle volontiers un « piège à mots ». Nous pouvons nous influencer des jeux d’écriture que pratiquaient en leur temps les écrivains de l’Oulipo par exemple. Mais nous inventons aussi nos propres jeux d’écriture, grâce à notre expérience et à notre imagination créative. Nous essayons de faire évoluer cette matière vers une forme d’écriture propre à être chantée, c’est-à-dire en tenant compte des rythmes, des pieds, des rimes, des éléments de répétition qui forment des phénomènes de refrain. Nous pratiquons une écriture collective, c’est nous qui écrivons au tableau les mots des enfants. Il faut dire que nous travaillons toujours avec de jeunes enfants, souvent des niveaux du CP au CM2, et même des grandes sections de maternelle. Il nous semble donc préférable de passer par l’oralité pour les faire rentrer dans le monde de la poésie et des idées. Mais très souvent, nos séances sont reprises et complétées en amont ou en aval par les enseignantes et enseignants qui rebondissent sur les éléments que nous avons abordés en les intégrant à leur activité de manière plus didactique.

polo polo polo

Qu’en est-il de l’écriture musicale, comment procédez-vous ?

La plupart du temps, nous écrivons d’abord un texte dont nous savons qu’il aura les caractéristiques lui permettant d’être mis en musique. Ensuite, nous procédons par improvisations, en chantant le texte à haute voix dans la classe, et la plupart du temps une mélodie vient toute seule, soit de notre part, soit de la part des enfants à qui nous demandons aussi de fredonner une mélodie sur une portion de texte. Souvent, cela donne de très bons résultats. (Il faut savoir qu’en musique, la notion de mélodie, que les Anglo-Saxons appellent la « top Line », est toujours particulière, et difficilement rationalisable. Elle arrive souvent comme par magie. Gaya est particulièrement douée pour entendre une mélodie à la lecture d’un texte. Une fée a dû se pencher sur son berceau). Ensuite, nous imaginons différents rythmes, différents styles musicaux que nous nous amusons à exécuter avec les enfants sur ce même texte et cette même mélodie. Cela nous permet d’explorer avec eux quelques notions de rythme et de composition musicale. Nous leur faisons aussi découvrir qu’une même mélodie associée à des mots évoque des sentiments différents selon les accords que nous employons, un peu comme la palette des couleurs d’un peintre…
Par la suite, nous enregistrons leur chanson dans notre studio d’enregistrement situé dans la région parisienne.
Mais nous restons en contact avec eux, grâce à de petites vidéos qui leur montrent le processus d’enregistrement.

En voici quelques exemples :

Vous travaillez dans les écoles, mais aussi dans d’autres lieux comme les hôpitaux, par exemple.
Qu’est-ce que ce travail apporte et vous apporte ?

Nous considérons tous les trois, que le travail d’un artiste doit être ancré dans la société, dans le monde réel. Sinon, il nous semble qu’il lui manque quelque chose. La vie traditionnelle d’artiste musicien avec répétitions, tournées, camion, hôtel, que j’ai pratiquée longtemps, comporte un côté monotone, amnésiant, voire épuisant psychologiquement. De par son statut, fantasmé ou pas, d’icône « au-dessus du commun », l’artiste est bien souvent idéalisé, particulièrement par les enfants qui sont sensibles à la notoriété, qu’elle soit réelle ou pas.

Quant à l’engagement politique d’un artiste, il peut être présent dans ses textes, mais pas forcément dans sa vie. Nous souhaitons au contraire être des travailleurs comme les autres. Faire de la musique pour le jeune public est pour nous un moyen de nous sentir utiles, de nous lever tôt nous aussi, et de faire partie du grand tissu social des personnes qui travaillent dans le monde de l’enfance, à l’instar des enseignants, des soignants, des éducateurs, des personnels des structures associatives… Nous souhaitons aller là où les enfants ont besoin de nous, nous pensons que la langue, la poésie, la musique, la faculté de se projeter dans l’avenir pour construire un projet collectif, et tout simplement la confrontation à la beauté est indispensable dans la formation des enfants qui sont l’avenir du monde, et qui vivent parfois des choses très difficiles.

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La culture change le monde, elle est la vraie richesse, bien plus que l’argent. C’est pourquoi nous attachons tant d’importance à colporter et semer nos petites graines lumineuses qui deviendront, nous en sommes persuadés, de belles plantes épanouies dans le jardin du monde, pour peu qu’elles puissent toujours être arrosées.

Mais attention, nous ne faisons pas que donner. Nous recevons beaucoup nous aussi, et les chansons que nous avons mises dans notre album « Les Minimots » n’auraient jamais pu exister sans les enfants. À titre personnel, j’ai passé ma vie à rechercher une forme d’écriture poétique qui pourrait m’affranchir de certains modèles classiques comme Villon, Baudelaire, Rimbaud, Aragon, Prévert, Trenet, Brassens… et tant d’autres. Avec Minibus, c’est en écrivant avec les enfants que nous avons l’impression de mettre le doigt sur une forme de poésie qui n’a pas encore été explorée. Les images créées par les mots des enfants sont remplies d’une innocence et d’une spontanéité vivifiante, une source vive à laquelle il est impossible d’accéder sans eux.

Vous avez fait une résidence à Mayotte, pourquoi Mayotte ?

Nous y avons été invités par notre ami Nicolas Puluhen, qui est responsable d’une association « Mon p’tit loup » qui combat les violences sexuelles faites aux enfants. Cette association aide les victimes de violences sexuelles à prendre la parole et à sortir du déni ou de l’amnésie concernant leur traumatisme, au moyen de conférences, d’ateliers d’écriture et en soutenant et diffusant des créations artistiques sur le sujet. Il nous a demandé de faire une chanson avec des enfants en grande difficulté sur l’île de Mayotte.

Ces enfants sont généralement venus des Comores, souvent seuls, sans leurs parents, et livrés à eux-mêmes dans la jungle de Mayotte à la délinquance endémique. Certains d’entre eux ont la chance d’être pris en charge par des associations humanitaires comme « Le village d’Eva » qui leur permet de suivre un cycle d’études et d’intégrer une famille d’accueil. Nous avons été sidérés par la vivacité d’esprit et la soif de culture de ces enfants. Et bien entendu, révoltés par les injustices qu’ils subissent. Lorsqu’il s’agit d’enfants, aucun discours, aucune justification politique n’est audible pour justifier les mauvais traitements, l’injustice, la misère ou pire encore. Nous avons décidé de faire une chanson qui énumère les droits de l’enfant, et qui les associe à une partie de leur corps, évoquant donc en filigrane leur intégrité physique, sachant que nombre d’entre eux ont subi des violences sexuelles. Cet atelier d’écriture sur une plage de Mayotte, à l’ombre des grands baobabs, restera à jamais gravé dans notre mémoire et dans notre cœur.

Voici un film qui raconte cette expérience

Comment avez-vous été reçu ? Il n’y a pas un danger de se sentir « colonisateur » ?

Nous avons été merveilleusement reçus par la générosité de notre ami Nicolas Puluhen et touchés par l’enthousiasme des enfants, qui semblaient très heureux de faire ce projet avec nous, de même que l’ensemble de leurs encadrants. À aucun moment, nous ne nous sommes sentis « colonisateurs » de quoi que ce soit à Mayotte. À titre personnel, j’ai du mal à me sentir responsable des événements historiques qui ont précédé ma naissance. Pour autant, je sais que pour nous occidentaux, la manière dont nous consommons, les vêtements que nous portons et le rapport économique que notre société entretient avec des pays pauvres sont une forme de colonisation, voire d’esclavagisme moderne auquel nous ne pouvons malheureusement pas grand-chose, sinon, à titre individuel, tendre vers une consommation différente et responsable, être informés et conscients de ces enjeux, et lutter pour un changement de société utopique, mais possible, par le sens que nous donnons à notre vie et bien sûr par le bulletin de vote que nous glissons régulièrement dans les urnes en tachant qu’il soit plutôt « pour » que « contre ». Il faut aussi, je crois, apprendre à vivre avec des contradictions, sinon on n’y arrive pas. Nous sommes conscients de faire partie des privilégiés de la planète en étant nés dans un pays comme la France. Alors, peut-être nous appartient-il de ne jamais perdre de vue la réalité du monde, et d’être toujours disposés à l’accueil, à l’échange, au partage et à combattre en nous l’égoïsme naturel de nombre d’Occidentaux, sans nous flageller pour autant.

Vous êtes-vous appuyé sur les traditions du pays, musique, danses, etc. ?

Pour composer la musique de la chanson « Le monde est à toi » nous avons eu envie d’utiliser un rythme influencé par la musique africaine, qui épousait merveilleusement le timbre des voix de ces enfants mahorais issus du continent africain. Mais de toute façon, c’est une musique qui nous influence toujours. Nous nous considérons comme des artistes de World Music, la diversité des rythmes du monde entier étant une source d’inspiration permanente pour nos chansons.

Quels sont les retours de cette expérience ? Quels sont vos futurs projets ?

Cette chanson avait pour objectif, outre d’apporter cette expérience aux enfants, de devenir un outil de communication pour les associations humanitaires luttant pour les droits de l’enfant. Elle a donc été abondamment partagée sur les réseaux sociaux par les différents acteurs de ce secteur. Cette chanson ouvre notre nouvel album Les Minimots (voir la rubrique CD) , et sera également intégrée à la compilation « Mon p’tit loup », qui sortira pour sa part en octobre 2024 et sera constituée de chansons sur le thème des violences sexuelles faites aux enfants. On y trouvera des artistes comme Catherine Ringer, Albin de la Simone, Jipé Nataf, Oldelaf, Les Ogres de Barback, La Rue Kétanou, Magyd Cherfi, Flavie Cohelo, et Minibus, bien sûr… Nous espérons que cette chanson va faire un long chemin.

Une chanson qui énumère les droits de l’enfant :

Pierre Lamy (Polo) - Wikipédia

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