Regina Zaidan
Marionnettes sonores et cubes sensoriels
Tu es musicienne, flûtiste, avec un long parcours dans la pédagogie.
Après un diplôme d’institutrice au Brésil, tu as poursuivi des études de musique, fait une formation pour musiciens sur l’éveil musical et, arrivée en France, suivi des cours de pratique orchestrale et d’improvisation à l’IACP.
Tu es depuis de longues années musicienne intervenante pour diverses associations, mais ta passion est le son sous toutes ses formes, ce qui t’a amené à construire, entre autres, des instruments avec des matériaux de récupération.
Peux-tu nous raconter l’origine de cette démarche ?
La sonorité de la matière a toujours attiré mon attention et au Brésil entre 1987 et 1988 j’ai eu l’opportunité de travailler avec Wilson Sukorski, compositeur de musique contemporaine et électronique, musicien, designer et constructeur d’instruments insolites et installations sonores, chercheur en musique digitale. Lui-même a travaillé avec Anton Walter Smetak qui était un musicien d'origine suisse, compositeur, écrivain, sculpteur et producteur d'instruments de musique.
Avec lui j’ai fait mes premiers pas dans la compréhension de l’acoustique et de la transformation de la matière sonore en instrument de musique.
Comme à cette époque mon intérêt allait aussi vers l’éveil musical, j’ai rapidement allié ces deux choses : la pédagogie musicale et la sonorité de la matière, en proposant la matière comme approche du langage musical. En même temps j’ai proposé aux enfants des ateliers de fabrication d’instruments pour qu’ils puissent à leur tour comprendre davantage cet univers inépuisable de l’acoustique et de la sonorité de la matière.
Tu as construit une fresque sonore "Graine de musique" au Service de Pédiatrie de l’Hôpital Paul Morel, à Vésoul et coréalisé avec Sami Hakimi, une "Cabane à musique" au Service de Pédiatrie de l’Hôpital du Kremlin-Bicêtre.
En quoi consistent-elles ?
La « Cabane à musique » a été créée en 1994 et installée dans une salle d’attente dans un service de pédiatrie pour que les enfants puissent explorer librement l’extérieur et l’intérieur de cette cabane, qui était complètement revêtue d’instruments sonores, certains fabriqués par Robert Hebrard.
La proposition était que les enfants puissent, pendant leur attente, passer un moment de détente, de découverte et d’exploration de toute la matière sonore existante dans cette cabane.
La fresque sonore « Graine de musique » a été créée en 1999 et installée dans un service de pédiatrie aussi, avec les mêmes objectifs.
J’ai fabriqué plusieurs instruments : en bambou, en bois, en métal et en tissu que j’ai accroché dans un panneau en bois en forme de paysage enfantin.
Il y a une roue de bâtons de pluie, des octogones, des güiros, des wood-blocks, un métallonote pentatonique, un carillon et un petit coussin sonore.
Tes dernières réalisations sont très intéressantes, surtout les marionnettes sonores.
Raconte-nous la genèse de ce projet ? Décris-nous quelques marionnettes.
L’idée est venue dans une discussion avec toi, de comment associer la sonorité de la matière avec l'imaginaire et le conte musical.
En utilisant en majorité du matériel recyclé, j’ai commencé à créer différents personnages. Mon travail de création est inspiré par la forme de l’objet et par sa sonorité. Des bouteilles en plastique se transforment en ailes ; des tubes de gaine électrique et un entonnoir deviennent une pieuvre ; une pince métallique utilisée normalement en cuisine, est la bouche articulée d'un crocodile ; un bidon, le corps d'un éléphant ou d'un hippopotame ; un couvercle d’une théière cassée devient la tête d’une chenille…
A partir de ce travail j’ai commencé à voir la matière encore d’une autre façon, je pourrais dire que ce n’est pas moi qui m’approprie de la matière, mais c'est la matière, par sa forme et par sa sonorité, qui s’approprie de mon imaginaire.
La pieuvre
Marionnette collective qui permet de parler, chanter et écouter.
Comment sont-elles reçues par les enfants, et comment les utilises tu ?
Avec les enfants, surtout les tout-petits en crèche, mais aussi dans les ateliers d’éveil musical avec les enfants de 3 à 6 ans, ces petits ou grands personnages apparaissent et disparaissent devant eux, avec les mouvements et sonorités spécifiques de chaque marionnette. Ils interpellent l'imaginaire de l’enfant, et ce temps devient un moment un peu suspendu et onirique.
Quand je leur donne une voix, ce n’est pas dans une langue connue qu’ils s’expriment, j’utilise des sons vocaux et des onomatopées. Leur voix fait partie de cette improvisation musicale qui interagit avec les enfants.
Après leur apparition et l’échange avec les enfants, vient un temps d’exploration et ce sont les enfants, à ce moment, qui donnent vie à ces marionnettes en explorant leur sonorité.
As-tu d’autres projets autour des marionnettes ?
Un des projets est le stage que nous animons ensemble pour les professionnels de la petite enfance. Le but de ce stage est de construire des marionnettes sonores pour les utiliser dans la création d’un conte musical.
Les participants manipulent d’abord des objets de récupération, pour trouver leurs qualités sonores et les transformer en personnages.
Des jeux vocaux et corporels sont réalisés dans le but de donner des outils aux réalisations. Ensuite, ils passent à l’élaboration commune d’un conte.
L’intérêt est de travailler sur le détournement de la fonction des objets du quotidien qui vont être utilisés autrement par leur forme ou par leur sonorité, pour raconter une histoire.
C’est l’occasion de partager avec le groupe un moment de création et d’improvisation musicale pour développer l’imagination, la qualité de l’écoute de soi et du groupe.
Voici quelques photos d’un stage de construction de marionnettes sonores.
Et quelques productions des stagiaires
En ce moment je travaille aussi autour de cubes sensoriels. Les cubes sont habillés avec des matières sonores, des matériaux de différentes formes, couleurs et textures.
L’idée de ces structures est de créer des espaces sensoriels d’un mètre cube et de les utiliser dans les grands espaces collectifs d’une crèche, par exemple, pour que les enfants puissent les découvrir et les explorer librement.
L’objectif de cette exploration libre est de stimuler la motricité, l’imaginaire, le sensoriel et l’affectif de l’enfant.
Chaque cube, selon son habillage, propose des explorations sensorielles différentes : plus sonores, plus motrices ou encore plus tactiles et visuelles. Selon la proposition, l’enfant va vivre ce lieu avec des émotions différentes.
Voici trois exemples d’habillage d’un cube : le cube « Lumière » propose une expérience plus calme, plus intimiste pour se détendre, au contraire du cube « Mouvement » qui procure une expérience bien plus dynamique et motrice. Le cube « Les sons, les formes et les couleurs » amène à une expérience plus sonore et tactile.
Cube Lumière
Cube Mouvement
Cube Les sons, les formes et les couleurs
Les cubes ne sont pas figés et il est possible de changer leur habillage selon les projets et les objectifs de chaque structure.
Les possibilités sont multiples et offrent des expériences complètement différentes, comme par exemple, faire un parcours avec plusieurs cubes.
Comptes-tu continuer ces deux expériences ?
A partir de ces deux expériences, j’ai créé un spectacle pour la petite enfance : « Le rêve du petit bonhomme », dans lequel j’utilise le cube et les marionnettes.
Par la suite, j’ai envie de continuer à développer ces deux idées, que ce soit dans mes animations ou en créant de nouveaux spectacles.
Je te remercie.
Pour aller plus loin
Dans le dossier "Jouer avec les tuyaux harmoniques" de la revue "La classe maternelle", Regina Zaidan propose la construction d’une pieuvre.
Fiches pédagogiques de l’Adem (Association pour le développement de l’éveil musical):
N° 52 : Le bâton de pluie
N° 62 : Marionnette sonores. Les petites bestioles volantes
N° 67 : Les cubes
A trouver sur le site de l'association assadem
Wilsono Sukorski : "Music for Many Harmonics"
Chaîne youtube de Wilson Sukorski
Anton Walter Smetak: "Smetak Imprevisto"
Archives expériences pédagogiques et artistiques
