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ENFANCE, CULTURE, MUSIQUE & PEDAGOGIE

Expériences pédagogiques


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Raphaëlle Garnier

Raphaëlle Garnier est une artiste aux multiples talents.

Autrice, chanteuse, trompettiste, elle a créé plusieurs spectacles et enregistré des CD, dont l’un est primé par l’Académie Charles Cros.

Issue des arts plastiques, elle est passée du dessin à la musique à 22 ans.

En 2002, elle fonde le duo Nid de Coucou avec Jean-Marc Le Coq. Ils ne se quitteront plus.

Elle anime des ateliers de création musique-arts plastiques, dans les écoles, pour créer des vignettes sonores.

Elle nous raconte cette expérience.

Bonjour Raphaëlle,

Je vous ai connue à travers vos CD, dont mon préféré, Marrons et châtaignes, a eu le coup de cœur de l’Académie Charles Cros. Et je vous ai vue dans votre spectacle « Nid de coucou », magnifique !
Vous êtes une artiste aux talents multiples, plasticienne, musicienne, vous êtes à l’aise sur scène.
Et vous menez, depuis longtemps, une activité créative auprès des enfants.

Qu’est-ce qui vous a incité à faire ce travail ?

Je suis arrivée en Bretagne en 1996 pour y être professeur d’arts plastiques. J’ai arrêté l’IUFM au bout de deux mois pour aller jouer du rock n’ roll dans les bistrots bretons (je ne vous dis pas la tête de mes parents quand je leur ai annoncé que j’arrêtais mes études pour cette raison…). A l’époque, les bars organisaient des quantités de concerts, c’était le paradis ! Mais j’ai toujours aimé transmettre le plaisir de l’imagination aux enfants. A 19 ans, j’allais dans les classes de mes neveux pour leur expliquer, étape par étape, comment peindre des chevaux. C’est pourquoi, dès mon arrivée en Bretagne, je me suis tournée vers l’ADDM 22 (Association Départementale de danse et de musique en Côtes d’Armor), qui organisait des ateliers pédagogiques dans les petites écoles rurales. J’ai tout de suite adoré ça et depuis 27 ans, je mène des projets d’enregistrements dans beaucoup d’établissements, des moyennes sections aux collégiens.

Dans vos ateliers vous travaillez la créativité des enfants, pour créer des contes qui sont mis ensuite en musique.

Comment procédez-vous ?

En amont, je me mets en relation avec leur professeur, afin d’en savoir plus sur les thèmes abordés en classe. Après, en classe, je travaille au feeling. Je suis là pour garder de la cohérence dans leur récit, pas pour les censurer. Pendant la première demi-heure, c’est la rencontre. Je leur demande par quoi ils se sentiraient instinctivement inspirés, et j’observe assidument le groupe d’élèves pour comprendre comment il fonctionne : qui sont les meneurs, les timides, les débordants, les extravagants, les marginaux… Ensuite, nous votons pour savoir si le personnage principal sera un garçon, une fille, ou les deux, ou un animal, ou ce qu’ils veulent. Les sujets d’histoire tombent vite, et nous partons rapidement sur l’écriture. J’adore les idées farfelues ! Je les encourage à pousser leur imaginaire en explorant leurs envies irréalistes : un fantôme qui a mal aux dents, un voleur de pois chiches en or, une armoire à remonter le temps… On arrive toujours à s’évader du monde réel.

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Ensuite, nous enregistrons les phrases, une par une. Puis les bruitages. S’il y a un élève musicien dans la classe, j’essaye toujours de le faire jouer. Nous pouvons aussi chanter, en créant des chœurs, ou des jingles si l’histoire le justifie (comme pour les fausses émissions de radio).

J’ai trois séances avec eux (j’aimerais bien en faire plus, mais les budgets m’astreignent à rester sur ce temps de travail), et le premier jour, j’enregistre toujours dans la classe. On se met en arc de cercle. Cela permet de travailler sur le respect de l’autre, en levant la main quand on a une idée, ou en observant un silence empathique quand un élève enregistre. Ce n’est pas si simple, et certains élèves ont de gros problèmes d’élocution. Ils sont parfois complétement dyslexiques, et je ne les lâche jamais : je me transforme en bouée de sauvetage pour qu’ils puissent s’accrocher à moi jusqu’à ce qu’ils arrivent à enregistrer leur phrase. Je demande aux autres de les aider silencieusement.

Ensuite, si l’école le permet, je vais installer mon studio mobile dans une autre pièce, afin de gagner en efficacité. Car faire faire le silence (avec le code « un, deux, trois, silence… ») à toute une classe de grande section, c’est vite compliqué et ennuyeux pour eux. La curiosité les rend patients pour une matinée, mais pas plus.

Lorsque les élèves sont fatigués, on arrête les enregistrements, et je leur demande de dessiner les personnages et les décors de leur histoire. Ca leur permet, entre autres, de mieux cerner le scénario.

La phase finale se passe chez moi : je fais le montage, le mixage, et la mise en musique. C’est important de créer un tapis sonore pour apporter de la profondeur à leur imaginaire.

Je photographie leurs dessins, et je mets en ligne un diaporama avec le son de l’histoire et les dessins.

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Vous travaillez avec différentes tranches d’âge. Quels sont les moments clé pour chacune d’entre elles, et comment ressentez-vous leur disponibilité pour la création ?

Avec les petits, il faut être très réactif, et attraper au vol leurs idées, leurs envies, leurs émotions. Je rentre souvent épuisée car cela demande une concentration folle ! Mais c’est tellement mignon, une petite voix d’enfant… Bien sûr, ils ne sont pas lecteurs. Je leur dis un bout de phrase, et ils la répètent dans le micro. Je ne vous dis pas les heures de montage pour enlever ma voix !

Les plus grands sont très généreux en idées. Il faut souvent faire un travail de choix collectif. Il faut aussi faire attention à sélectionner les idées du plus grand nombre d’élèves, car je ressens vite les petites rivalités qui sont installées parmi eux. Je me retrouve à choisir entre deux idées, suivies d’un « hoooo ! » de déception. Mais il faut bien choisir…

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La Promenade de Minouche est une histoire inventée, enregistrée, mise en sons puis illustrée par les élèves de la classe de CP-CE1 de l'école de Ploumagoar (22)

Vous avez différents formats : contes, fictions sonores, émissions radio. Comment choisissent les enfants le sujet et la forme de leurs productions ?

Pour les petits en moyenne et grande section, je m’appuie souvent sur la mascotte de leur classe : j’écoute attentivement les petites histoires du matin lors de l’accueil des enfants, et j’en prends une au vol : Lyson a essayé les chaussures de sa maman ce week-end. Tiens ? Et si la mascotte chaussait les bottes de maîtresse pour aller faire un tour ? Il y avait des taupes dans le jardin. Tiens ? Et si la mascotte organisait un spectacle de cirque dans ses galeries  souterraines?

« Gaston le chien », mascotte de la classe des Petites, moyennes et grandes sections de l'école Jean Gilet à Plémy (22), a perdu son os. Son parcours l'amène à rencontrer un drôle de personnage. Enregistré en 3 séances ultra créatives, et qui furent l'occasion d'explorer les multiples possibilités de sons de la classe.

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Le conte s’adapte très bien aux enfants à partir du CP. Ils aiment le merveilleux, et le connaissent plutôt bien. A partir du CE2, je leur propose de créer une émission de radio se basant sur un faux reportage. C’est l’âge de la découverte ; ils adorent exploiter leurs connaissances et interpréter des personnages (les présentateurs, les journalistes sur le terrain etc…). Et à partir du CM1, on travaille sur les scénari d’histoires sans mot. Le dernier, « Poursuite », a permis d’explorer la richesse du son des pas : sur quoi marche le personnage ? Du bois ? Des graviers ? Un escalier de métal ? Traverse-t-il une rivière ? Et quelles sont ses chaussures ? Des talons ? Des baskets ? C’est fascinant de les voir se concentrer sur la recherche du bon son, et sur son enregistrement. Si le personnage court, on travaille aussi sur le souffle et sur la cohérence des pas en relation avec ce souffle. On aborde aussi le saut, enregistré en trois parties : la respiration ample, la retenue du souffle lors du saut, puis le relâchement de la respiration lors de l’impact au sol et sa reprise pour courir à nouveau. Ensuite, on fait la même chose avec les pas. Cela demande beaucoup de temps mais j’adore voir l’émerveillement et la fierté dans leur regard quand c’est réussi ! Et un saut, ça ne dure que… 5 secondes !

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Toutes ces productions sont collectives, comment procédez-vous pour faire participer tous les enfants et non seulement ceux qui sont les plus actifs ?

J’ai un truc infaillible : je demande au professeur de noter qui est passé devant le micro. Sinon je ne m’en sors pas, car j’ai les yeux qui passent de l’ordinateur aux élèves en va-et-vient constant, avec des oreilles qui en font autant.

Ils enregistrent au moins trois fois chacun. Bien entendu, ceux qui ne respectent pas les autres passent en dernier. Il arrive qu’un enfant hyper timide refuse de venir enregistrer. Quand je sens que c’est très fort et très sincère, on attend que tous les élèves aient quitté la classe pour le faire en duo. Ca se passe toujours bien. Il y a aussi eu des enfants violents, avec qui je devais mettre les choses au clair avant de les enregistrer. C’est plus facile pour moi, qui ne les vois que trois fois, d’être ferme et bienveillante.

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Ce travail est une démarche transversale, les enfants ne font pas qu’inventer, vous travaillez d’autres notions (l’expression verbale, le vocabulaire, l’écriture pour les plus grands…) et vous faites aussi un travail de socialisation, de respect de l’autre, etc. Pouvez-vous nous en parler ?

Dès le premier jour, je prends soin de présenter le projet comme étant un travail collectif. A une époque où l’on prône l’individualisme, j’aime qu’ils comprennent d’eux-mêmes que les meilleures idées naissent d’une réflexion collective. J’attache beaucoup d’importance à encourager les plus timides s’exprimer, car il n’y a jamais de mauvaise idée, sauf celle qu’on ne dit pas. Pour construire un mur, on prend de beaux et grands cailloux, mais aussi des tout petits, d’aspect un peu moche, mais sans qui le mur ne tiendrait pas. Pour notre travail, c’est pareil. L’avantage de l’enregistrement, c’est qu’une toute petite voix peut être mixée plus fort et être ainsi mise en avant. Je ne me lasse pas de faire des compliments sur la voix des timides. C’est une façon pour ces enfants introvertis de comprendre qu’ils ont aussi leur place dans un travail de groupe. J’adore leur dire de se faire confiance. On ne leur dit pas assez je trouve.

Eh oui, pour le texte de l’histoire, j’aborde la notion de vocabulaire. Le vent ? Mais un vent comment ? Une brise légère, un souffle persistant ? Un ouragan ravageur ? Au-delà d’apporter des images plus précises à l’auditeur, chaque élément, chaque mot va apporter de la théâtralité au récit. Les attributs des personnages doivent être raccords à sa personnalité. On parlait du vent tout à l’heure : un ogre ne peut pas arriver avec une légère brise emplie d’odeurs de jasmin. « Son vent » sera forcément une tempête, un orage, ou un ouragan colérique.

 « Les Trois Noisettes » Une histoire en randonnée par des enfants du CE1-CE2. C’est une histoire plus élaborée, avec une grande participation vocale.

Dans la majorité des cas vous créez les musiques, pourquoi ne pas faire ce travail avec les enfants ?

J’essaye au maximum de leur faire faire les bruitages ! Parfois, ils sont si discrets que l’auditeur ne s’en rend même pas compte. C’est comme au cinéma : un bon bruitage, c’est celui qu’on n’entend pas.

Pour les musiques, c’est compliqué car je les compose en même temps que le montage. C’est très rythmé, un récit, et avec l’expérience (et mon grand âge), je sais s’il faut composer quelque chose de léger, ou de très romantique. Et l’avantage des musiques créées en midi (par ordinateur donc), c’est qu’on peut raccourcir ou copier un cycle musical très facilement. Si, par exemple, le récit nécessite deux secondes de plus pour obtenir du suspense, on ne peut pas le faire avec une musique enregistrée en classe avec les élèves.

« La carte postale de Rio le Perroquet »  Cette histoire a été inventée, puis enregistrée, mise en sons et illustrée par les élèves de Grande Section d'Elena de l'école Primevère à Eu (76).

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Que pensez-vous que ce travail apporte aux enfants, et que vous apporte à vous en tant qu’artiste ?

Il faudrait presque leur poser la question aux enfants ! J’essaye de leur expliquer qu’en travaillant sur l’imaginaire (ici imaginaire sonore), ils s’entraînent déjà à trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontreront dans leur vie d’adulte. A un premier niveau, parce qu’en trouvant des solutions aux problèmes du personnage principal, ils ont déjà la réponse à ce problème, et cela pourra leur servir plus tard. J’entends par « réponse » quelque chose comme une décision à un moment donné, une phrase-clef de l’histoire qui peut rester en tête, la persévérance à chercher etc…. Un « je-ne-sais-quoi » qui résonne en eux.

Je leur demande d’observer le monde, par les livres, par leurs yeux, leurs oreilles, et tous les sens réunis. S’émerveiller devant l’immensité de notre monde, et devant son extrême finesse. Prendre le temps de regarder et d’interroger les nuages. Apprendre à s’écouter pour se faire confiance. Et on a le droit de se tromper. C’est tellement important qu’ils entendent tout ça, encore et encore, non ?

A un second niveau, parce que tout vocabulaire (vocabulaire sonore, pictural, gestuel, social) par les codes que nous apprenons pour communiquer, nous sert à exprimer nos ressentis (mais j’ouvre une porte ouverte). Si on a une angoisse et qu’on ne trouve pas les mots pour l’exprimer, on peut montrer un dessin ou une danse ou une musique qui l’exprime à notre place. Mais ça peut aussi être un mode de pensée rencontré dans un jeu. Il y a toujours un parallèle existant entre un problème et une logique. Comme « la fourchette » au jeu d’échecs : quoiqu’on joue comme pion, on est perdant. Et pourtant, on peut accepter de perdre pour gagner la partie.

Bon… Je m’éloigne, mais c’est passionnant d’y penser quand on écrit un scénario avec les enfants.

Quant à moi, c’est toujours un bain de jouvence de rejoindre ces enfants pour construire ces fictions sonores ! Je parlais de logique, eh bien, je suis toujours surprise de voir comment leurs réflexions sur la vie sont pleines d’ouvertures par rapport aux nôtres !

Quand je suis en résidence d’écriture à l’école, cela me permet de voir si mes mots sont justes. Si un enfant ne comprend pas mon texte, ce n’est pas grave. S’il y en a trois, c’est que je suis à côté de l’enfance. Donc je recommence. Mon envie est de faire comprendre un sentiment. Il faut donc rester humble et simple en écriture.

Entendre leur rire, leurs jeux à la récré, c’est comme un souffle chaud et vivifiant qui pousse mon petit bateau dans la bonne direction.

Et par-dessus tout… J’adore manger à la cantine.

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Je vous remercie.

C’est moi qui vous remercie !

Discographie de l’artiste

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Livres illustrées par Raphaëlle Garnier

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Site : niddecoucou
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