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ENFANCE, CULTURE, MUSIQUE & PEDAGOGIE


Nos archives

Numéro 1 : Poésie, musique et arts plastiques / 06-2023

Numéro 2 : Le chant prénatal / 07-2023

Numéro 3 : Les techniques corporelles pour les musiciens / 08-2023

Numéro 4 : Focus sur le Créa,
Centre de création vocale et scénique d’Aulnay-sous-bois / 09-2023

Numéro 5 : Musique, arts et handicap / 11-2023

Numéro 6 : Focus autour de l’édition jeunesse / 01-2024

Numéro 7 : Les femmes et la musique

Numéro 8 : Le conte dans toute sa diversité


Expériences pédagogiques et artistiques

Ateliers musicaux autour de la musique contemporaine.
(CP et jeunes handicapés)

Diego Dacax est un musicien et éducateur musical brésilien basé en France, il a suivi une licence en musicologie à Paris 8, a étudié le jazz à l’école le Cim, s’est formé à l’éveil musical à l’ADEM et se présente sur scène en groupe ou en solo, principalement avec sa basse, son magnétophone à bandes et quelques ‘objets suspects’. Il travaille des musiques dites expérimentales et contemporaines en portant une attention particulière à la relation entre le geste physique et le résultat sonore. Ses cours sont basés sur des moments d’écoutes, de discussions et de jeux explorant les différentes possibilités musicales de corps sonores divers afin de constituer un vocabulaire commun pour la création collective et l’épanouissement individuel des participants.

Inspirée par Paulo Freire et l’éducation populaire, sa pédagogie accorde une place fondamentale à l’écoute, l’expression individuelle, l’expérimentation libre et la création. A travers des jeux et activités pratiques, il mène les participants à l’exploration des possibilités musicales de corps sonores divers afin de constituer un vocabulaire commun pour la création collective et l’épanouissement individuel de chacun et chacune.

Actuellement il est à la quatrième et en dernière année du cursus de composition électroacoustique du conservatoire de Pantin, suivant les classes de Marco Marini, Jonathan Prager et Santiago Diez-Fischer.

MA VISITE

Je suis allée voir Diego au mois de mai, pendant une matinée, à l’instrumentarium de Montreuil. C’est un lieu, sorte de caverne d’Ali Baba, qui possède une quantité incroyable d’instruments du monde.
Ils reçoivent des scolaires pour des animations.

Ce matin, Diego recevait une classe de CP qui venait pour la première fois dans un « atelier découverte », et deux groupes d’adultes d’un MAS (Maison d’accueil spécialisée) avec des gros handicaps, et qui viennent pour la deuxième année.

Une des particularités de Diego est de proposer à l’écoute de la musique contemporaine, à la place des chansons et autres musiques dites « pour enfants ».

J’échange avec lui avant l’arrivée des enfants qu’il ne connaît donc pas.

Je fais un travail essentiellement instrumental. Avant le covid je faisais aussi un travail vocal, mais j’ai dû arrêter.
Je me concentre sur deux énergies qui font resonner les corps sonores : frotter et frapper. On peut le faire d’abord par terre, en cherchant des signes pour aider à la mise en place. On trouve des signes ensemble pour frapper et frotter, et ensuite pour les nuances.

Est-ce que tu utilises le graphisme ?

Peu, pour parler de la forme de l’onde, de la morphologie de chaque objet sonore.
Mais c’est quelque chose que je voudrais développer, mais que je ne fais pas faute de temps, car les ateliers durent quarante-cinq minutes sur trois mois.
On travaille d’abord l’être ensemble, comment se poser dans un espace où il y a beaucoup de liberté. Tout le monde a le droit de s’exprimer. En quarante-cinq minutes c’est difficile de tout faire.

L’instrumentarium possède, entre autres, les structures Baschet, ce qui est l’origine du nom de cette structure.

Avec ces instruments on essaye de sortir du discours tonal dans tous les sens de mesure et de forme, et avec les enfants c’est très simple. Ils arrivent très facilement à faire des changements de mesures qui sont très difficiles à écrire, et qui sont complètement inattendus. Je pense que c’est en grande partie à cause de l’oralité dans leur expression, dans leur pensée musicale

Que vas-tu leur faire écouter?

Je vais commencer par faire écouter une pièce de Pierre Henry. Je préfère le terme expérimental à musique contemporaine, car il y a l’intention de l’expérimentation.

C’était de la musique concrète, ça rentre dans l’appellation musique contemporaine, même si elle a déjà dans les soixante-dix ans.

C’est la jeunesse de ceux qui l’ont faite, c’est une école qui n’est pas fixée. Ce sont des musiques qui déroulent une pensée morphologique, et cela depuis le TOM (Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer).

LES CP

On arrête la discussion à ce moment, il va chercher les enfants
Ils viennent accompagnés de l’enseignante et de quelques parents.

C’est magnifique! disent-ils en rentrant.

Ils s’assoient en rond et Diego propose d’écouter une musique. Ce sont les «  Variations pour une porte et un soupir » de Pierre Henry .

C’est la tempête ! disent les enfants.

Ça déclenche les rires par moments.

Ça commence avec des sons courts ou longs ? demande Diego.
Ce que l’on entend au début c’est le grincement de la porte.

Après cette écoute ils échangent sur les sont courts et longs et il distribue des djembés.
Pendant la distribution, qui prend un certain temps car ils sont vingt-cinq enfants, ils jouent avec beaucoup d’enthousiasme.

S’ensuit un travail sur les différents gestes : frottés, frappés et arrêts.

Les frottés

Imiter le geste de Diego, frottés et frappés.

Le plus important est le geste, se regarder et s’écouter.

On va faire une musique comme un arc-en- ciel, qui commence petit, grandit et descend. On commence par frotter, ensuite avec les ongles, le bout des doigts, tous les doigts et après on fait à l’envers

Les enfants sont ravis de jouer avec les djembés, et suivent quand même les consignes avec pas mal d’attention pour une première fois et une découverte aussi joyeuse.
Ensuite ils rangent les djembés

On va voir un autre instrument, mais pour cela j’ai besoin de votre écoute et de votre silence.

D’accord, disent les enfants, et ils restent calmes.

Il s’agit du chandelier Baschet, dans lequel on peut introduire des rondelles qui en descendant provoquent des sons par frottement.

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On peut aussi jouer d’une autre façon, en utilisant les baguettes pour taper ou frotter.

Il distribue les baguettes et les enfants jouent à tour de rôle ou par deux, en se passant les baguettes.
Tout ceci se passe avec beaucoup de calme et d’attention au son. C’est un son différent de ceux qu’ils connaissent et les enfants y prêtent beaucoup d’intérêt.
Comme c’est un son résonnant il faut attendre que le son s’arrête pour rejouer.
Les enfants sont contents de découvrir cet instrument insolite et les sons forts déclenchent de temps en temps l’enthousiasme.

Pour finir ils écoutent une autre musique : Broken music (musique cassée, leur dit-il) de Milan Knizak.
Cette fois ils écoutent calmement et ensuite ils partent tranquillement avec des joyeux au revoir.

LES JEUNES DU MAS

Ce sont deux groupes d’adultes (plus de 18 ans) qui résident dans un MAS (maison d’accueil spécialisée) accueil de jour.

Ils sont quatre dans le premier groupe et sept dans le deuxième.

Ils viennent pour la deuxième année. Ils ont leurs habitudes, ils ont besoin d’un cadre sécurisant.

Que dit Diego:

Ce qui est intéressant avec le groupe qui vient est qu’il y a un jeune qui au départ n’était jamais avec nous, il allait ailleurs, et depuis un moment il est avec nous, et il est hyper attaché au chandelier, il va le chercher avec moi, il a une présence très attachante.

Le groupe d’après a beaucoup changé avec le temps. Il y a un noyau sûr, mais la semaine dernière il y avait une nouvelle, elle était complètement perdue et ses camarades étaient un peu perturbés par cette énergie non-contrôlée. Elle allait partout, elle voulait tout essayer. Elle courait dans la salle, et dans ce cas je laisse aux encadrantes le soin de canaliser, sans l’obliger à s’asseoir avec les autres.

Parfois quand on fait la musique avec eux, le son est partout, il habite toute la salle, ils sont touchés par ce qui se passe. Ils ont leur rythme, on commence et on finit par une écoute. Je pense cet atelier comme une grande séance d’impro. Il y a une masse sonore qui monte, qui descend, on va jouer un peu du gong, pour retrouver le calme, et pendant tout l’atelier on pense aux nuances.

Plus je travaille avec eux, plus j’aime ce travail. Je ne fais pas de musicothérapie, je fais de la musique, et elle a des bienfaits pour eux, c’est thérapeutique sans que ce ne soit le but. La musique nous aide à sentir et à expérimenter des choses que l’on n’est pas capable d’exprimer verbalement, d’imaginer, de sentir des sensations. C’est presque bouleversant, dans le bon sens. Je vois comment le groupe s’est transformé, au long des séances, il y a quelque chose qui s’est développé , comme l’être ensemble, grâce à la musique qui enveloppe tout ça.

PREMIER GROUPE

Ils s’assoient par terre, même le garçon qui est en fauteuil roulant. Je m’assois avec eux. L’un d’entre eux reste plutôt couché.

Les jeunes ne parlent pas beaucoup, ils font des sons.

Diego propose d’écouter une musique (Jérome Noetinger – Assault).

Ils écoutent attentivement, l’un d’entre eux vocalise de temps en temps. Quelquefois on a l’impression qu’ils interagissent vocalement avec la musique.

A la fin ils applaudissent chaleureusement.

Il demande aux jeunes de l’aider pour chercher des instruments.

C’est le chandelier Baschet, vu déjà chez les CP. Il faut distribuer les rondelles.

Ils commencent à produire des sons chacun son tour, et les autres écoutent et souvent approuvent.

Ils font glisser les rondelles dans les tiges du chandelier, quelques fois ils les frottent avec une intention précise.

Une fois qu’ils ont tous joué ils rangent les rondelles.

Ils vont jouer d’un autre instrument. Il s’agit du disque, aussi un instrument Baschet. Un jeune distribue des baguettes pour jouer dessus.

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Il est intéressant de voir que Diego demande à chaque fois à un jeune de distribuer, en nommant chaque personne, une par une. On pourrait se dire que ça fait perdre du temps, mais ce travail permet de créer des liens, de faire un pas vers l’autre, ce qui pour ces jeunes, en mode spécial, est un apprentissage très important. Partage, aller vers l’autre, se respecter et s’écouter.

Il est intéressant d’observer aussi comment, malgré le fait d’avoir une impression de grand bruit au départ (certains pourraient appeler cela n’importe quoi ou défoulement), l’improvisation évolue, avec des moments de silence dans lesquels on peut entendre les résonances.

Ces instruments permettent aussi de jouer à plusieurs, ce qui est important pour l’écoute de l’autre et pour la socialisation.

Quand ils ont tous joué, il demande à un jeune de ramasser les baguettes.

Même si certains jeunes ont quelquefois du mal à réagir, Diego ne se départ jamais de son calme et de sa douceur. Il prend son temps, il laisse le temps à chacun de réagir comme il le souhaite (et le peut), il ne force pas à jouer si quelqu’un ne le veut pas, mais il encourage et stimule. C’est un espace de liberté, d’apprentissage dans la bienveillance.

On revient sur le tapis.

Ils prennent des petits accordéons et tout le monde joue. D’abord un peu timidement, ensuite avec plus de courage et beaucoup de plaisir, malgré le fait que pour certains le maniement de cet instrument pose des problèmes moteurs.

Dans ce jeu collectif plus personne ne vocalise, ils font corps avec la musique.

On entend comment la musique change, quelquefois elle devient plus lente, pour évoluer dans la rapidité, mais aussi dans la douceur.

Ils trouvent comment s’appelle l’instrument, en regardant des photos d’instruments que les professionnelles ont amenées.

Ils rangent les accordéons.

Pendant le rangement, quelqu’un joue avec beaucoup de plaisir du piano.

Du coup, ils restent un bon moment à y jouer, ils essaient différentes choses, dans une véritable expérimentation musicale, dans laquelle on trouve beaucoup de moments de calme et de silence.

On ferme le piano et Diego distribue des wah wah tubes, ce sont des sortes de cloches en métal que l’on tape.

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Ils ont un orifice avec lequel on peut moduler le son en le bouchant et l’ouvrant rapidement, ce qui donne une sorte de wah wah. C’est un instrument résonant. On peut jouer par deux, une personne tape et l’autre bouche le trou dans un va-et-vient pour produire un wa wa. Ils expérimentent différentes formes de jeu, des trémolos, etc. Cela crée une très jolie ambiance.

Ensuite, ils écoutent un morceau pour se dire au revoir. Mariam Rezaei - Of Defeat

C’est un morceau avec des instruments graves et des sons longs, c’est paisible et permet un très beau retour au calme. Les jeunes écoutent dans un calme impressionnant et applaudissent à la fin avec enthousiasme.

DEUXIEME GROUPE

Ils sont très agités en rentrant, ils se calment peu à peu.

On s’assied pour écouter la musique (Thomas Stone - An act os surrender - part 1). Un jeune reste un peu agité par moments, il crie et tape de mains, ce qui fait que les autres s’agitent de temps en temps. Au fur et à mesure de l’écoute ils se calment.

Ils commencent à jouer avec les rondelles dans le chandelier, comme les enfants du CP, mais le garçon en question à peur.
Donc Diego propose un gong, ils tapent à tour de rôle avec la baguette. Il y a des moments très beaux, coupés souvent par les cris du jeune qui est souvent très agité. Les autres sont coopératifs et se passent les baguettes sans problèmes.

Ils arrivent même, après des moments fortissimo, à jouer doucement et même à écouter la résonance.

Au moment de ramasser les baguettes un grand calme s’instaure, on entend le silence et une fille chantonne doucement. Un moment de grâce.

Un garçon demande à jouer du piano, et ils improvisent par deux ou trois, avec une vraie écoute. Les uns jouent et les autres écoutent, ceci pendant un bon moment, et le garçon agité reste calme presque jusqu’à la fin.

Un garçon joue des sons graves avec lenteur. En regardant son visage on a l’impression qu’il savoure les sons.

Après la séquence piano, ils vont s’asseoir.

Et pour se dire au revoir ils écoutent une musique (Gérard Grisey - extrait de Vortex Temporum)

Le contraste entre l’attitude lors de la première écoute et celle-ci est saisissant. Plus d’agitation, ils écoutent tranquillement, et le jeune agité se couche et reste calme.

La musique s’arrête dans un grand silence.

Et ils se disent au revoir avec des grands sourires.

En parlant avec les professionnelles qui accompagnent les jeunes, elles nous disent combien ils attendent ces séances de musique. Elles remarquent aussi que grâce à ce travail, ils commencent à se respecter mutuellement et que les tensions qu’il peut avoir entre eux ont tendance à s’atténuer.


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