montage

ENFANCE, CULTURE, MUSIQUE & PEDAGOGIE

Expériences pédagogiques


Archives expériences pédagogiques et artistiques


L’école de Vitruve,
une expérience singulière au sein de l’école publique

J’ai contacté l’équipe de cette école, car elle mène depuis plus de 50 ans une pédagogie alternative dans le cadre de l’école publique. Sectorisée, elle accueille les enfants du quartier, sans sélection ni passe-droits.
J’ai eu un accueil extrêmement cordial, dont je les remercie. L’équipe était enthousiaste à l’idée de participer à ce numéro. Ils et elles ont travaillé pendant les vacances de Noël pour m’envoyer les réponses à mon questionnaire. Ensuite, j’ai participé à leur réunion hebdomadaire, le mardi à 18h30. Une équipe très stable, extrêmement motivée, avec laquelle j’ai pu échanger dans une ambiance cordiale et stimulante.

L’école de Vitruve est née, en 1962, de la volonté de Robert Gloton, inspecteur départemental et militant de la pédagogie nouvelle, qui fut aussi président du GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle).

Voir notre entretien avec Pascal Diard, secrétaire national du GFEN

Voici les réponses à mes questions.

Pouvez-vous faire un historique et les motifs de cette création ?

Le quartier connaissait un fort taux d’échec scolaire, Robert Gloton, qui était à l’époque l’inspecteur de l’éducation nationale, a eu l’autorisation d’y mener des expérimentations dans plusieurs écoles pour faire échec à l’échec. Il recrute des enseignants volontaires et les choisit pour leur optimisme pédagogique, leur volonté d’inventer et de travailler en équipe. Il s’agissait alors de penser de nouvelles méthodes d’enseignement afin de faire réussir tous les enfants.

L’école Vitruve s’est construite sur ces axes : c’est en faisant qu’on apprend, c’est avec les autres qu’on apprend tout seul, l’école est ouverte sur son quartier.

Au fur et à mesure des années et des recherches pédagogiques, des intentions de l’école sont apparues et ont évolué : les classes vertes pour tous étaient financées par la Braderie annuelle de l’école, les plaintes (aujourd’hui remédiations) pour gérer les conflits entre enfants, le Conseil d’école enfants… et la pédagogie de projet à travers laquelle se font les apprentissages.

Vitruve est une école publique sous convention d’expérimentation. Vous utilisez une pédagogie différente à celle qui se pratique dans la majorité des écoles, en quoi consiste-t-elle ?

Tout d’abord, nous considérons l’école comme notre lieu de vie où chacun peut prendre des responsabilités ou proposer des changements. Pour faire vivre l’école et permettre à ce que chacun se sente partie prenante, il y a plusieurs institutions qui se chargent de l’organisation de l’école. Des enfants choisis par leurs pairs deviennent responsables pour la période. Ils sont accompagnés par un ou deux adultes de l’école pour mener leur travail à bien, trouver des ressources, être épaulés.

Le conseil d’école enfant : il est hebdomadaire. Chaque groupe réfléchit à un sujet proposé par les enfants eux-mêmes. Des représentants des groupes qui sont choisis par roulement portent la parole de leur groupe.
Les coordinateurs enfants demandent les sujets à discuter aux groupes, préparent l’ordre du jour de Conseil, mènent les discussions, rédigent le compte-rendu et le diffusent. Ils travaillent avec le ou la coordinatrice de l’école. Le compte-rendu du conseil d’école tient lieu de règlement intérieur quand des points d’organisation sont discutés (ex : combien d’objets personnels puis-je amener à l’école) ou de discussion d’Éducation morale et civique, (ex :pourquoi travailler en mixité ?). Chaque décision peut être rediscutée (droit de recours).

vitruve_1 vitruve_2

Les médiations et les remédiations : travail quotidien des médiateurs dans la cour/régulation de conflit (remédiations) hebdomadaire. Les enfants qui rencontrent des problèmes entre eux dans la cour recourent aux médiateurs. Les différentes parties expliquent leur problème et leurs versions des faits. Par son écoute et ses questions, l’enfant médiateur essaie de trouver une sortie du conflit. Si aucune sortie de conflit n’a pu être trouvée, si les enfants n’arrivent pas à s’écouter ou à se comprendre et que chacun campe sur sa position en refusant le compromis (par exemple : les deux enfants veulent décider chacun des règles du jeu sans prendre en compte l’avis de l’autre), le médiateur écrit une remédiation qui sera traitée dans les groupes dans la semaine. Lors de cette séance de travail, les enseignants amènent les enfants à prendre de la hauteur par rapport au conflit rapporté, à chercher les idées plus larges qui le sous-tendent (moquerie, rumeur, domination, peur, …) et travaillent à une réparation, mais aussi à trouver des moyens pour que la situation ne se reproduise pas ou que les enfants sachent comment en sortir.

Les jeux dans la cour/la place du marché (l’hiver) pendant les récréations. Les temps de récréations sont animés par des jeux et des ateliers organisés par les enfants. Les groupes d’enfants, chargés d’un atelier qu’ils ont choisi et proposé de mettre en place, mettent à disposition de tous les enfants de l’école des livres, des kaplas, des feuilles et des crayons, mais aussi du matériel pour les jeux sportifs. Ces jeux et ces ateliers sont coordonnés par une équipe d’enfants (les coordinateurs de jeux) qui font le plan de la cour et l’emploi du temps des jeux. Ils s’assurent du bon déroulement des activités, récoltent les demandes des enfants, font le bilan de ce qui a été mis en place et font de nouvelles propositions.

vitruve_3 vitruve_4
vitruve_5 vitruve_19

Par ailleurs, des services sont aussi mis en place pour permettre une certaine liberté aux enfants. Tous les enfants de l’école prennent part à ces services par roulement.

Il s’agit :

des contrôleurs de vitesse : montée et descente des escaliers. Lorsque le tambourin retentit les enfants montent dans les étages, pour rejoindre leur classe. Ils ne se mettent pas en rangs et peuvent finir leur discussion en allant dans les salles. Pour que ces temps informels se passent au mieux, des enfants contrôleurs de vitesse se placent aux points stratégiques des escaliers et vérifient que tout le monde remonte dans le calme. Ils sont nommés pour 3 semaines par un groupe d’enfants responsable du roulement.

vitruve_6 vitruve_7

du flux : la cantine. Pour aller manger à la cantine quand et avec qui ils le souhaitent et favoriser la mixité entre les groupes, les enfants passent par le flux. Ils s’asseyent sur les bancs de la cour et sont appelés par groupes de 10 quand les places se libèrent à la cantine. Les enfants responsables du flux comptent les places libres, font monter les enfants pour aller manger, les installent aux tables libres. Ils travaillent 30 minutes par jour pendant une semaine, puis sont relayés par d’autres enfants.

Ces responsabilités font l’objet d’un travail quotidien avec les enfants. Nous nous appuyons sur eux pour les apprentissages. Les différents écrits nous fournissent des supports pour le français (ex : compte-rendu du conseil d’école) ou en mathématiques (ex : tableau à double entrée). Ils alimentent notre travail d’éducation à la citoyenneté. Les enseignants accompagnent quotidiennement les enfants.

En classe, nous travaillons en pédagogie de projet, l’idée étant que les enfants apprennent en faisant. Un projet à Vitruve se décline en 3 axes :

Celui des apprentissages : le projet doit permettre d’acquérir les connaissances et les compétences des programmes scolaires pour chaque niveau.

Celui du collectif : un projet ne peut pas être réalisé par un enfant seul, il nécessite le concours de tous, il doit permettre l’entraide et la coopération.

Celui de l’utilité sociale : on réalise un projet pour transformer notre quotidien, que ce soit par une présentation artistique (spectacle, chorale, exposition) ou pratique (fabrication d’objets, préparation culinaire, …). Le projet est ouvert sur l’école (pour les autres groupes), sur les familles de l’école ou sur le quartier.

Mettre les enfants en projet signifie les mettre face à des situations complexes qu’ils doivent résoudre grâce à leurs connaissances et à leurs compétences scolaires ou parascolaires. Le projet rend les apprentissages nécessaires.

Cette année, les CP enquêtent sur différents mystères qu’ils rencontrent dans l’école : qui sont ces enfants dans les couloirs qui leur demandent de marcher ? Quelle est l’histoire de la cabane de la cour et pourquoi ne peut-on pas monter dessus ? Comment devenir contrôleur de vitesse ?

vitruve_8
vitruve_9 vitruve_10

Pour répondre à ces questions, ils doivent interroger les autres enfants et adultes de l’école (pratique de l’oral), parfois en différé et rendre compte de leurs trouvailles (lecture, production d’écrits, dessins). Par ailleurs, les enseignants les accompagnent dans une démarche hypothético-déductive où les premières impressions ne sont pas toujours en phase avec la réalité (démarche scientifique). Les CP éprouvent alors le besoin de pouvoir lire pour obtenir une réponse, communiquer par écrit pour poser une question. Ils se lancent dans les apprentissages avec des débouchés concrets, à court et à long terme. Par ailleurs, comme le projet est collectif, ils peuvent toujours s’appuyer sur les compétences et les connaissances des autres pour passer un cap ou une difficulté, confronter leur travail avec celui d’un autre, apprendre de leurs erreurs et les corriger.

Projet cibles et marelles

Lors d’un conseil d’école enfants hebdomadaire, les enfants souhaitaient soumettre à l’ordre du jour l’utilisation de la cour de récréation. Les élèves de chaque groupe de l’école ont proposé leurs idées pour améliorer le quotidien, celles-ci ont été ensuite validées par le conseil d’école.
Le groupe de CE1/CE2 souhaitait réaliser des tracés au sol : marelles et cibles. Ils ont donc réfléchi collectivement à la réalisation concrète, proposé des essais sur le cahier puis à la craie dans la cour, recueilli les conseils des autres enfants, amélioré, recommencé, décidé d’un modèle avant de le finaliser.
A travers ce travail, les enfants ont appris à s’organiser, discuter, argumenter, se répartir le travail, travailler en groupe. Ils ont par ailleurs développé des connaissances et des compétences utiles et à utiliser parce qu’ils en avaient besoin : tracer, mesurer, utiliser la règle et l’équerre, construire la symétrie, écrire des lettres pour demander de l’aide aux parents mais aussi à la mairie afin d’obtenir du matériel, écrire des règles du jeu précises, renseigner un blog pour rendre compte du travail accompli. Enfin, ils ont présenté leurs jeux en recevant chaque groupe de l’école pour le faire participer afin que chacun puisse par la suite, en autonomie, en profiter lors des récréations.

vitruve_17

La cible est un jeu qui a été imaginé par les CI. Ils l’ont créé, écrit les règles, travaillé des notions de géométrie, pour les tracer sur le sol.

vitruve_16
vitruve_15 vitruve_14
vitruve_11_marelle_1 vitruve_ vitruve_12_marelle_2

Les enseignants assurent tous les temps que l’enfant passe à l’école, que ce soit la pause méridienne ou les études du soir.
Pourquoi ce choix ?

Pour que nous puissions organiser l’école comme un lieu de vie, faire exister les décisions prises collectivement lors du Conseil d’école, gérer les conflits entre enfants de façon collective, il est impératif que les enseignants assurent tous les temps de l’enfant.

Nous pensons que tous les temps que passent les enfants à l’école sont des temps pour apprendre. Les institutions de l’école et les services mis en place sont, comme évoqué plus haut, des supports de travail et de réflexion. Par ailleurs, il nous semble que la cohérence éducative au sein de l’école est primordiale, la présence des enseignants sur tous les temps de la journée s’avère pour nous une évidence.

Vous êtes aussi organisés différemment aux écoles traditionnelles, même si les enfants font partie d’une classe, ils sont souvent mélangés, les enseignants travaillent en binôme et il n’y a pas de directeur et de directrice.
C’est une organisation aussi très innovante, qui découle de vos choix pédagogiques.
Pouvez-vous en parler ?

L’organisation de l’école repose sur 9 classes administratives. Il est faux de penser que les enfants ne sont pas organisés par classe d’âge ou que les enseignants n’ont pas de classe attitrée.

La structure de l’école cette année compte :

Un grand groupe de 54 CP qui travaillent avec 2 enseignants. (Chaque enfant de CP ayant une salle et un enseignant référent, il en est de même pour les autres groupes de l’école.)

Un grand groupe de 52 CI (Cycle intermédiaire) avec 2 enseignants.

Un petit groupe de 26 CI (Cycle intermédiaire) avec 1 enseignante.

Un grand groupe de 40 CM1 avec 2 enseignants.

Un grand groupe de 52 CM2 avec 2 enseignants.

L’équipe enseignante essaie de penser la structure de l’école de manière cohérente et judicieuse. Nous réfléchissons souvent en double niveau, afin que les enfants puissent revoir des notions ou au contraire aller plus loin. Cette mixité permet aussi de mettre en place des systèmes de tutorat et d’apprendre tous ensemble, malgré les différences d’âge. Chacun a quelque chose à apporter.

À contrario, les CP ne sont jamais mélangés avec des enfants d’autres âges. Nous estimons que cette première année permet aux enfants de se rencontrer et de découvrir l’école ensemble, en tant que groupe et selon leur rythme. Ils découvrent ainsi par eux mêmes le fonctionnement de l’école et les responsabilités. Ils se questionnent et s’impliquent à leur tour pour « faire avec les autres ».

Ces grands groupes d’enfants représentent nos groupes de projet. Les enfants travaillent ensemble à la réalisation d’un grand projet sur l’année. Ils peuvent aussi assurer la réalisation de projets à plus court terme (organisation d’un ciné couette pour les familles de l’école, réalisation de marelles pour la cour, organisation d’ateliers pendant la récréation, vente du café pour les adultes de l’école, organisation d’une fête d’étage). Le fait que 2 enseignants travaillent sur le même groupe d’enfants permet un regard croisé et fait naître la discussion. Cela nous amène à proposer des solutions en cas de blocage ou de difficulté. Par ailleurs, le travail des enseignants se fait en binôme, nous discutons ensemble du travail à réaliser, nous fabriquons nous-mêmes nos supports, le regard de l’autre enseignant est donc primordial pour corriger et parfaire le travail proposé aux enfants. C’est un dialogue constant entre les enseignants pour mener à bien le projet et les apprentissages. C’est un travail riche, mais qui nécessite de prendre du recul sur soi-même et de se sentir en confiance.

Par exemple, les CM CM (Comédie musicale) ont écrit, chorégraphié et interprété une comédie musicale, présentée à Bruxelles, les CI ont ouvert un restaurant : écriture du menu, course, cuisine, service… tout y était !

Les enfants de la SNCMS (Société nationale des CM secouristes) sont devenus les secouristes de l’école en écrivant un livret retraçant l’histoire du secourisme en France, les gestes qui sauvent, des interviews… et en formant les parents et personnes du quartier intéressées.

vitruve_13

A cette structure et ces projets s’ajoutent des ponts créés entre les groupes pour travailler ensemble, se rencontrer et se connaître. Nous partons du principe que pour bien vivre ensemble, il est nécessaire de se connaître et qu’il est plus facile d’apaiser les tensions et les conflits quand on connaît le prénom de l’autre et qu’on a déjà un vécu avec lui.

Comme chaque année, les CP travaillent avec les CM2 pour l’accompagnement à la cantine et pour un travail de lecture, fabrication, le vendredi après-midi. Les CM1 ont préparé pour les CI des ateliers de lecture de l’heure. Les CI ont conçu et réalisé des marelles dans la cour et ont fait jouer tous les groupes de l’école. Par ailleurs, nous préparons actuellement notre semaine des projets qui devraient permettre aux différents groupes de se croiser et de travailler ensemble.

En ce qui concerne la direction de l’école, elle est collégiale. Un enseignant de l’école prend le poste de coordination chaque année, par roulement. Il lui revient de faire l’interface entre l’institution, la mairie et l’équipe. Les décisions importantes concernant l’école sont prises en réunion d’équipe, le mardi soir (18H30 / 22H30). Avant cela, des réunions de cycle se tiennent entre enseignants (16H30/18H). Lors de la réunion, nous abordons tous les sujets sur la vie de l’école qu’ils soient techniques ou pédagogiques. Tout ce qui concerne l’école est porté à la connaissance de tous les enseignants. Nous discutons des réponses à apporter aux différentes demandes qui nous sont faites, nous déterminons les grandes orientations pour l’école, nous faisons le bilan des dispositifs mis en place, nous demandons de l’aide et des conseils à nos collègues.

Cette réunion hebdomadaire, nous permet d’être partie prenante de la vie de l’école, de nous former mutuellement, de prendre des responsabilités au sein de l’équipe, de ne pas se sentir seul face à nos difficultés, mais aussi d’être en capacité le moment venu de prendre le poste de coordination (à partir de 5 années passées à l’école).

Comment se fait le recrutement des élèves ? Et celui des enseignants ?

Les enfants qui fréquentent l’école sont des enfants du secteur. Nous sommes très attachés au fait d’être une école de quartier. Nous pensons que l’école doit exister au sein de son quartier et créer des liens avec les habitants, les associations et les commerçants qui y sont. A ce titre, nous essayons de tourner les projets vers le quartier, nous organisons chaque année une grande Braderie sur la Place de la Réunion ainsi qu’une déambulation pour montrer les projets des enfants dans tout le quartier, à différents moments de l’année.

Les enseignants qui souhaitent venir travailler à Vitruve doivent rencontrer l’inspecteur de circonscription ainsi que l’équipe. C’est mieux pour eux de connaître les spécificités de l’école avant de postuler. Certains aspects de notre travail (la présence sur les temps périscolaires, la réunion du mardi soir, le travail en binôme, le travail en projet sans manuel) peuvent ne pas convenir à tous.

Vous travaillez en étroite collaboration avec les parents.
Comment ça se passe concrètement ?

Un parent de CP qui arrive pour la première fois à l’école est reçu de nombreuses fois à l’école, il y a plusieurs réunions avant et juste après l’entrée de son enfant. Il sera ensuite reçu à diverses occasions tout au long de l’année.

Par ailleurs, il est très rapidement convié à participer à la Braderie qui se déroule mi-octobre. A l’occasion de la Braderie, nous essayons de mettre les parents en projet, ils tiennent un stand et s’organisent avec d’autres parents pour récolter les objets qui seront vendus, organiser un roulement, récupérer le matériel nécessaire à l’école. Les anciens accueillent donc les nouveaux et l’école, à travers les enseignants référents, accompagne leur travail. Si des parents n’ont pas la possibilité de s’engager activement dans la Braderie, ils y participent cependant en y passant la journée du samedi avec leurs enfants. Nous organisons aussi de nombreuses fêtes au cours de l’année pour que les parents et les enseignants se rencontrent dans un contexte différent que le simple rendez-vous pour parler de la scolarité des enfants. De même que nous attachons de l’importance à ce que les enfants de l’école se rencontrent et travaillent ensemble, nous pensons qu’il est important que les enseignants et les parents puissent travailler en collaboration. (L’argent gagné lors de ces évènements revient intégralement aux Classes Vertes auxquelles chaque enfant de l’école participe).

Nous sommes aussi disponibles à la grille chaque matin pour discuter avec les familles, pour qu’elles entrent dans la cour de l’école, nous voient. Des discussions informelles ont lieu à ces moments-là qui cimentent le lien entre tous.

Dans le même esprit, nous convions les parents à nous aider dans la réalisation des projets. Ainsi, au cours de l’année, il leur est possible de venir faire la cuisine avec un groupe, de fabriquer des objets avec un autre, d’assister à un spectacle, de participer à une soirée. Nous essayons d’ouvrir les évènements créés par les enfants à toutes les familles de l’école afin que les parents puissent se sentir eux aussi faisant partie de l’école au sens large.

Pour impulser cette dynamique, nous comptons sur les enfants. Ils sont moteurs pour emmener les parents à l’école, ils souhaitent participer aux soirées, voir le travail d’un autre groupe.

Est-ce que les parents ne sont pas interloqués par cette pédagogie différente et l’absence de manuels, par exemple ?

L’explicitation de notre pédagogie est au cœur des différentes réunions et rendez-vous que nous avons avec les familles.

Tous les parents sont invités à tous les Conseils d’école où un sujet pédagogique est toujours à l’ordre du jour. Lors des réunions de groupe, nous expliquons notre façon de travailler, nous montrons nos supports, nous proposons des outils pour suivre le travail des enfants.

Ce qui est le plus déroutant pour les familles, c’est l’absence de devoirs écrits. Elles ont aussi des demandes pour suivre le travail de leurs enfants pour les situer dans les apprentissages et pour pouvoir les accompagner scolairement. Pour les aider, nous réalisons chaque semaine, une fiche de travail qui reprend les notions étudiées dans la semaine. Nous invitons aussi les familles à regarder les cahiers, à questionner les enfants sur le projet.

Pour que les familles situent leurs enfants dans les apprentissages, nous disposons de 2 outils : le bilan de projet qui est une co-évaluation enfants/instits à partir de ce que les enfants ont fait et des notions acquises.

Il y en 3 ou 4 par an en fonction de l’avancée des projets, le LSU (Livret Scolaire Unique) qui est rempli par l’enseignant seul et qui est rendu de façon semestrielle.

Voici un exemple d’une autoévaluation d’un enfant de CM1, co-signée par l’instituteur, sur ce qu’il apprit grâce au projet juste avant Noël. 

vitruve_18

On a souvent parlé du choc des élèves quand ils passent d’une école avec une pédagogie active à une autre avec une pédagogie traditionnelle. Qu’en est-il pour les élèves de Vitruve à l’arrivée au collège ?

L’arrivée au collège se passe relativement bien. Les enfants ont l’habitude de travailler avec des adultes différents et de changer de salle dans la journée pour faire tel ou tel travail. Par ailleurs, nous préparons l’entrée au collège en faisant venir d’anciens élèves pour qu’ils partagent leur expérience, une journée de visite a lieu en fin d’année, les parents sont conviés à des réunions avec l’encadrement des collèges de secteur.

Les enseignants de CM2 expliquent clairement les enjeux et les attendus du collège aux enfants.

Nous n’avons pas de grande surprise quand nous nous rendons aux conseils de classe de 6ème. Les enfants issus de l’école s’intègrent facilement, deviennent souvent délégués de classe et les familles de l’école prennent une part active à la vie du collège.

Avez-vous des rapports avec des organismes d’éducation nouvelle, en France et à l’étranger, ainsi qu’avec des écoles alternatives privées ?

En tant que membres de la FESPI, nous participons tous les 2 ans à la biennale de l’Education Nouvelle. Nous avons des relations avec les CEMEA qui ont tourné un film à l’école, il y a quelques années.

Nous participerons à l’anniversaire de Decroly en janvier. Nous assistons aussi aux différents colloques organisés par la FESPI.

Voir notre entretien avec Mme Girard, directrice de l’école Decroly

D’une manière générale, nous apprécions de partager notre expérience avec les différents organismes de l’éducation nouvelle. Cela nous fait nous poser de nouvelles questions, modifier certains de nos fonctionnements… Cependant, il nous est difficile de faire plus, nous avons déjà des journées et des semaines très remplies.

En ce qui concerne les écoles alternatives privées, nous sommes plus réservés. Nous avons déjà accueilli des enfants qui venaient de diverses structures et nous avons constaté qu’ils rencontraient des difficultés. Elles sont parfois d’ordre scolaire, mais le plus souvent c’est le collectif qui manque aux enfants venus de ces établissements. Il leur est souvent difficile au début d’accepter les décisions prises par le groupe quand elles ne vont pas dans leur sens et la coopération et l’entraide sont parfois difficiles à mettre en place pour eux.

Comment expliquez-vous que cette expérience n’a pas essaimé ?

Vitruve est un projet global qui demande aux enseignants un investissement d’importance. Tout y est interconnecté, nous fonctionnons en système. Cependant, nous voyons des initiatives qui reprennent une partie de ce qui est en place chez nous : les Conseils d’enfants, les médiations entre pairs …

Par ailleurs, Vitruve s’est construite par essai / erreurs. Nous faisons des tentatives que nous évaluons à travers des bilans. Nous évoluons et avançons avec le temps, avec les enfants et les enseignants qui font l’école. Nous ne relevons d’aucune pédagogie en particulier, mais nous allons piocher dans l’éducation nouvelle pour trouver ce qui nous convient. Il n’y a donc pas de recette pour refaire Vitruve ailleurs. On peut transposer certaines de nos institutions dans d’autres établissements qui souhaiteraient mettre au cœur de leurs priorités la coopération entre enfants, l’entraide, l’accès à l’autonomie et l’émancipation.

Dans ces temps de « récession pédagogique » comment voyez-vous l’avenir de votre école ?

Pourquoi Vitruve a perduré alors que plusieurs écoles voulues par Robert Gloton ont périclité ? C’est grâce à la coordination tournante et au travail d’équipe, cette fameuse direction collégiale. Là où les autres écoles étaient peu à peu plus portées que par quelques enseignants ou la direction, Vitruve a toujours été portée par son équipe.

Nous espérons pouvoir continuer à travailler ainsi en concertation, en prenant ensemble les décisions, en collectif en équipe et avec les enfants…

Je vous remercie pour votre magnifique témoignage.

Cristina Agosti-Gherban

Pour aller plus loin

site : fespi

Bibliographie

• En sortant de l'école, Casterman, 1978. 
• Robert Gloton, Au pays des enfants masqués, Casterman, 1979. 
• Patricia Agostini, Michel Bonnard, Liliane Dayot et al., Vitruve-blouse, Syros, 1986
• Annika Blichmann, Schulreform und Reformschule in Frankreich. Die "École élémentaire Vitruve" im Horizont der Geschichte, Jena 2008
• Gérard Delbet, Vitruve : rassemblée générale, Les Editions du bord du Lot, 2019 
• Delphine Patry, « Josette Broquet, institutrice à l’École Vitruve (1961-1972) », Spirale - Revue de recherches en éducation, no 68,‎ février 2021, p. 133-144 (lire en ligne [archive]

Vidéographie

• On n'est pas des minus (1984), réalisé par Jean-Michel Carré, production Les Films Grain de Sable.
• Vitruve, une école de la République (2003), réalisé par Richard Hamon, production Mosaïque Films.
• On ne peut pas faire boire un cheval qui n'a pas soif (2009), réalisé par Maud Girault et Jonathan Duong.


Archives expériences pédagogiques et artistiques